Du changement subi au changement désiré
Dernière modification : 24 juin 2024
La dernière des 4 valeurs relatives du manifeste agile, c’est :
nous valorisons s’adapter au changement plus que suivre le plan
Aucun plan ne résiste au contact avec l’ennemi
Lorsque le manifeste agile est publié, en 2001, le graal de la gestion de projet était de finir dans les délais, ces délais étant définis dans le plan initial.
Le manifeste ne dit pas que suivre un plan c’est mal. D’ailleurs on fait bien un plan à chaque sprint avec Scrum.
Non, ce qui pose problème, c’est essayer de suivre le plan à tout prix.
Surtout quand c’est le plan initial, un plan détaillé qui a été fait alors qu’on avait peu de connaissance de la situation et qu’il n’a pas été pas remis à jour alors que des changements l’ont impacté.
Aucun plan ne résiste au contact avec l’ennemi. Donc plutôt que suivre le plan initial, il vaut mieux s’adapter au changement.
Il faut s’adapter, le mantra du néo-libéralisme
Cette idée que le développement agile, c’est fait pour s’adapter au changement cela a poussé des entreprises à essayer l’agilité.
Car elles se rendent bien compte que des changements, il y en a quand on est dans le domaine de la connaissance, volatil, incertain, complexe et ambigu.
Le problème c’est quand ça devient une injonction :
il faut s’adapter !
et ensuite un prétexte pour faire subir tous les changements possibles aux équipes agiles.
Cette approche simpliste de l’agilité comme outil d’adaptation au changement, cela conduit au faux-agile.
Car si tout change tout le temps, les équipes ne sont pas en sécurité. En particulier, la stabilité des équipes est nécessaire pour qu’elles soient en mesure de s’adapter.
La mise en avant de l’adaptation au changement, c’est probablement ce qui fait que l’agilité soit perçue avec méfiance par les membres des équipes eux-mêmes, mais aussi par toutes celles et tous ceux qui ne sont pas dans des entreprises : dans ce qu’on appelle l’économie sociale et solidaire, dans les associations ou les collectifs, là où les notions de management, de profit et d’efficacité ne sont pas dans l’esprit.
D’ailleurs, la philosophe Barbara Stiegler (voir la note de lecture de son dernier livre dans Phrénosphère) soutient que la nouvelle injonction du néolibéralisme qui naît à la fin des années 30, en rupture avec le libéralisme classique et son « laisser-faire », c’est : « il faut s’adapter ». S’adapter aux conditions du capitalisme…
L’agilité serait-elle le bras armé du management néolibéral ?
S’adapter à quoi ?
“Il faut s’adapter, d’accord, mais à quoi ?” se demande Barbara Stiegler.
Un petit retour au manifeste nous éclaire sur l’intention de ses créateurs, avec le 2e principe :
Accueillez positivement les changements de besoins, même tard dans le projet. Les processus Agiles exploitent le changement pour donner un avantage compétitif au client.
La formulation (ou la traduction) est discutable, mais l’intention est claire.
L’accueil des changements de besoins rejoint ce que nous avons évoqué dans l’article sur les boucles de feedback. L’agilité permet de construire le bon produit en impliquant régulièrement (à chaque cycle) ses utilisateurs. Cependant, c’est l’équipe qui reste libre d’accepter telle ou telle proposition des utilisateurs.
Ce qui est toxique, c’est quand des changements sont imposés à l’équipe, en usant de pouvoir ou en prétextant l’urgence. En particulier quand ces changements portent atteinte à l’auto-organisation de l’équipe.
Devenir le changement
S’adapter aux changements, ce n’est pas les subir !
C’est pouvoir décider quels changements et quand les prendre en compte.
C’est aussi devenir la source essentielle des propositions, car qui est mieux placé que celles et ceux qui font le travail pour avoir des idées ?
On le constate avec le confinement : les équipes qui étaient déjà agiles (et donc auto-organisées) ont trouvé de nouvelles idées pour travailler ensemble à distance.
C’est pourquoi nous proposons cette évolution du manifeste :
- au-delà de s’adapter au changement (subi), nous voulons devenir le changement (désiré).
En souhaitant bien sûr que le changement désiré se préoccupe de plus en plus de la valeur sociale et l’impact sur le vivant.